Cancer de la prostate: Léa Turpin innove avec un traitement ultraprécoce

Cet article est paru dans le magazine Notre Temps , N°664
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Sa spécialité: la médecine nucléaire
Comment une jeune femme attirée par les langues et la philo se retrouve-t-elle, à 34 ans, cheffe du service de médecine nucléaire d'un grand hôpital, entourée d'hommes de l'âge de son père et de son grandpère, tous préoccupés par leur prostate? Chez Léa Turpin, grande brune élancée qui confie en toute simplicité son parcours, cela tient à l'envie de se rendre utile, comme lorsqu'elle était déléguée de classe dans son lycée de Seine-et-Marne.
C'est son moteur, ce qui l'a aidée à avaler les six années intenses des études de médecine, à supporter d'être "comme coupée du monde tant il y a à apprendre". Elle termine bien classée, sésame pour choisir sa spécialité. Ce sera par conséquent médecine nucléaire, la "science de l'utilisation de produits radioactifs à visée diagnostique et thérapeutique". Une niche (cinq postes par an à Paris) pour être certaine de ne pas ronronner tant le champ des possibles est vaste, pense la jeune femme.
Une zone malade jusque-là invisible
Aujourd'hui, à l'hôpital Foch, à Suresnes (92), qu'elle vient de rejoindre et où elle nous accueille, elle confirme: c'était le bon choix. Son quotidien combine consultations et expertise technique. Et elle ne s'ennuie pas! "J'ai fait ma thèse à l'hôpital Saint-Antoine (Paris) sur une nouvelle technique pratiquée en Allemagne pour soigner des tumeurs de la prostate, la “radiothérapie interne vectorisée”. J'ai eu la chance d'initier cette thérapie innovante en France."
Au même moment arrive un nouvel examen d'imagerie, le TEP-scanner (tomographie par émission de positons). Toutes les pièces du puzzle sont en place… Pour bien comprendre la puissance de la technique, il faut repartir des fondements de la médecine nucléaire, qui consiste à injecter au patient un traceur faiblement radioactif, lequel va s'accumuler dans les tissus et révéler une zone malade jusque-là invisible. L'atome émet un rayonnement qui, sur un examen par TEP-scanner, colore l'image à l'endroit de sa concentration, repérant ainsi une infection, ou des métastases. Nouveau pas en avant: la "TEP au PSMA" cartographie spécifiquement les cellules aux récepteurs hormonaux PSMA. Parfait pour le cancer de la prostate dont les cellules surexpriment justement ces récepteurs!
Léa Turpin utilise la métaphore de Sherlock Holmes: "Décrypter ces images permet de comprendre l'origine d'une augmentation du marqueur tumoral, quelle satisfaction de résoudre une énigme!" s'enthousiasme-t-elle. Voilà des métastases repérées des mois avant d'être visibles par scanner ou radio. Une avancée précieuse pour optimiser la prise en charge du patient. D'abord confidentielle, l'utilisation de ce traceur se démocratise progressivement en services de médecine nucléaire, malgré le frein de son coût, grâce à l'arrivée récente de produits prêts à l'emploi, tel le DCFPyL commercialisé depuis mai 2024. "Ici, nous le proposons désormais à tous les patients qui le nécessitent", indique avec satisfaction la spécialiste.
Irradier la cellule tumorale de l’intérieur
Voilà pour la partie imagerie. Mais cela ne s'arrête pas là! Pour certains cancers avec métastases, la TEP au PSMA peut repérer les patients susceptibles de bénéficier du fameux traitement au nom compliqué, objet de la thèse de Léa Turpin: la "Radiothérapie interne vectorisée par 177Lu-PSMA-617". Le médicament radioactif prend alors la même voie que le traceur d'imagerie, mais, cette fois, pour soigner. Il consiste à injecter en intraveineuse un atome, ici du lutécium, lié à une molécule qui va se fixer au fameux récepteur PSMA. Vous vous souvenez? Celui qui est surexprimé dans le cancer prostatique. Voilà la clé pour pénétrer et irradier ces cellules de l'intérieur!

Moins agressif que la chimiothérapie
La technique a fait ses preuves, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en 2022 et un accès précoce. Pas besoin d'anesthésie. Une fois injecté, l'atome se fixe aux cellules cancéreuses et les bombarde, sans effet secondaire majeur. Comptez six cures espacées de six semaines, en ambulatoire ou hospitalisation courte. Une méthode indolore, moins agressive que la chimiothérapie et encore trop peu utilisée hélas. À l'hôpital Foch, Léa Turpin attend l'autorisation de la pratiquer. Elle tourne vers nous son ordinateur et pointe une série d'images*: "Vous voyez ces points? Ce sont des métastases, nombreuses sur les premiers clichés, qui fondent au fil des mois, détruites par cette radiothérapie." Plus on agit tôt, mieux on freine le cancer. Jusqu'à quel point? Les études se poursuivent pour le savoir, ajuster les doses, le rythme des injections, associer d'autres médicaments… et gagner encore des mois et une meilleure qualité de vie. L'humain avant tout? Élémentaire, ma chère Léa.
*Légende photo: L'imagerie TEP PSMA d'une prostate met en évidence, à droite, les métastases.
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Le cancer de la prostate en France
Poids, moral, libido...
• Un homme sur huit développera un cancer de la prostate. La maladie évoluant très lentement, la majorité ne décéderont pas à cause d'elle.
• 10 000 décès par an en France, d'où le défi de repérer et traiter les cas agressifs.
• Une panoplie de traitements selon la spécificité de la tumeur: surveillance active pour éviter un surtraitement, radiothérapie, curiethérapie, chimiothérapie, chirurgie, ultrasons, hormonothérapie…
Une association de patients très active, l'Anamacap: tél. 05 56 65 13 25
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