Bernard Pino, tout jeune médecin sur l'île de Sein

Cet article est paru dans le magazine Notre Temps , N°659
La lecture de cet article est réservé aux abonnés
Se connecter
Un généraliste de 68 ans, titulaire depuis 2023
Docteur Pino? Il consulte au cabinet médical rue Saint- Guénolé, en face de la mairie. À 50 mètres du quai des FrançaisLibres et de l'océan qui baigne l'île de Sein dans le Finistère, à une vingtaine de kilomètres du continent. Et on le voit passer chaque jour avec sa charrette typique du coin en direction du port, pour l'arrivage des médicaments par le bateau. Faute de pharmacien sur l'île, il endosse aussi ce rôle.
Depuis trois ans, il réside là un mois sur deux pour veiller sur la santé des Sénans – moins de 300 à l'année – et des résidents de passage – jusqu'à 3000 aux beaux jours. D'abord comme remplaçant périodique, puis titulaire depuis fin 2023. Il est tout sourire ce généraliste de 68 ans, pas près de prendre sa retraite. Et pour cause! Fraîchement diplômé, il vient de commencer sa carrière de médecin, après avoir repris, à 56 ans, ses études interrompues en sixième année dans sa jeunesse, pour des raisons économiques. "J'ai emprunté de nombreux chemins de traverse, mais rien n'a pu m'empêcher de répondre à ma vocation de soignant", reconnaît-il, satisfait et soulagé comme après l'ascension de l'Everest, ou d'un tour du monde à la voile.
Des études interrompues
Si Bernard se souvient avec nostalgie du cabinet à l'ancienne en Tunisie, pays où il a passé sa petite enfance, il a surtout été très marqué par le décès de deux sœurs, l'une accidentée sous ses yeux, l'autre à la suite d'une maladie cardiaque. "La vision des ambulances et l'odeur de camphre associées à ces moments ne m'ont jamais quitté", reconnaît-il. Et à 18 ans, il décide d'endosser la blouse blanche. "On était pauvre et le monde des médecins représentait celui des notables, si loin de nous. Mais je me suis dit pourquoi pas moi? Ces études ne coûtaient pas un rond, je pouvais donc me lancer."
Et il réussit, une année après l'autre, s'engage aussi dans des projets parallèles, comme celui d'ouvrir à grands frais une école de danse avec sa compagne d'alors. Mais l'affaire périclite et il doit travailler pour rembourser ses dettes. Il interrompt alors ses études et développe des entreprises en s'appuyant sur la déferlante des nouvelles technologies informatiques au début des années 1980. Et après un remariage, la naissance de quatre filles, le déménagement en Bretagne, le projet de finir sa formation de soignant s'éloigne. "Tout se passait bien… mais j'allais mal. J'ai pris du poids et j'étais sûrement assez déprimé."
À la fac de Brest, le plus vieux de la promo
Jusqu'au jour où une amie relance le défi. "Pourquoi ne le laisserais-tu pas reprendre ses études pour qu'il devienne médecin?" demande-t-elle à Élisabeth, son épouse. "C'était bien elle qu'il fallait convaincre, car elle allait tout assumer financièrement pendant plusieurs années, alors que notre dernière fille était encore à la maison", raconte Bernard. Le voici donc inscrit à la rentrée universitaire suivante à la fac de médecine de Brest, en troisième année. "J'étais le plus vieux, mais je me suis senti à ma place. À la fin du cours, j'ai expliqué à un étudiant intrigué que je reprenais mes études; il m'a répondu “OK, on sera plus nombreux pour faire les tours de garde”. J'étais adoubé."
Réapprendre à apprendre, une thèse sur les médecins tardifs
Mais tout n'alla pas de soi: "J'ai dû me remettre dans le bain très vite, réapprendre à apprendre, passer des examens, aller parfois au rattrapage et trembler avant les résultats car je ne pouvais pas me permettre de redoubler trop souvent." Il ne le fera que deux fois. Ses atouts: "Le soutien et la patience de ma femme, l'encouragement de mes filles, amusées et soulagées de me voir enfin sur le bon chemin, et la confiance indéfectible de mes parents qui n'ont jamais douté de ma réussite." Le sujet de sa thèse, écrite en trois ans alors qu'il pratiquait déjà: "Les vieux internes, bien sûr. J'ai étudié le cas de six étudiants ayant, comme moi, commencé ou repris leurs études de médecine tardivement. La soutenance s'est bien passée et j'ai pu prêter serment à 67 ans. Les plus proches étaient présents, même ma maman très âgée, mais pas mon père, décédé deux ans trop tôt. C'était très émouvant."
Disponible 24h/24h
À ce moment-là, Bernard exerce déjà sur l'île de Sein, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour ses patients, parfois coupés du monde par les tempêtes et la houle qui empêchent l'accostage des bateaux. "Comme un médecin de famille à l'ancienne, je réside dans l'appartement au-dessus du cabinet et les Sénans savent qu'ils peuvent sonner à tout moment." Le reste du temps, sur le continent, il travaille aux urgences de l'hôpital de Pontivy et assure aussi des téléconsultations. Il ne s'arrête plus. "Pourquoi le ferais-je? Tout le monde est content! Je suis moins souvent avec ma femme mais nous y gagnons en qualité, et elle me rejoint parfois sur mon île. Mes filles sont ravies d'avoir retrouvé un père bien dans sa peau. Et ça fait toujours un soignant de plus dans le désert médical!" La retraite, Bernard y pensera plus tard. Peut-être.
Reprendre les études, mode d'emploi
Vous souhaitez obtenir un diplôme d'État, suivre une formation qualifiante, par exemple pour préparer une activité postretraite…
- Par où commencer?
Recherchez les catalogues de formation des universités et centres de formation proches de chez vous. Si vous cherchez une formation conduisant à un métier, visitez le site www.francecompetences.fr qui répertorie toutes les certifications professionnelles (d'apiculteur, de céramiste, de paysan-herboriste…). En faculté, il est possible de suivre des cours en auditeur libre ou dans le cadre d'un parcours diplômant. À l'inscription, il est demandé à l'étudiant d'avoir le niveau bac. L'inscription dépend des places disponibles, les étudiants en formation initiale étant prioritaires.
Le Centre national d'enseignement à distance (CNED) permet aussi de suivre des cours depuis chez soi.
Pensez à votre compte personnel de formation (CPF) pour financer une formation payante tant que vous êtes encore en emploi ou au chômage. Il permet d'accéder à de nombreuses formations.
Guillaume Le Nagard
Prolongez votre lecture sur le sujet :
Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ?
Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu !
Commentaires (0)