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Séries: les raisons de la passion

Ces productions pour le petit écran sont désormais reconnues comme des objets culturels, au même titre que les films ou les livres… Mais pourquoi raffolons-nous des séries, de "Thérapie" à "Game of Trones" ou "Le Bureau des légendes"?

Cet article est paru dans le magazine Notre Temps Santé & Bien-Être

Les séries, c'est bon pour la mémoire

Consolider notre mémoire

Lorsque nous suivons une série sur plusieurs saisons, notre mémoire est sollicitée pour nous souvenir des personnages, des liens entre eux et des rebondissements. Excellent pour la muscler sur un mode ludique! Et lorsque nous peinons un peu ou laissons passer trop de temps entre deux épisodes, les résumés sont là pour nous aider.

Booster notre plasticité cérébrale

Face à l'intrigue souvent dense d'une série, notre cerveau ne peut s'empêcher d'émettre des hypothèses, d'anticiper ce qui pourrait arriver à tel ou tel personnage. Au fur et à mesure que nous avançons dans le visionnage des épisodes, il nous faut réadapter nos supputations à la réalité de la narration. De quoi entretenir notre plasticité cérébrale.

Améliorer nos compétences linguistiques

Regarder une série en version originale, quelle meilleure occasion de progresser dans une langue? C'est la possibilité d'un bain linguistique à domicile! Pour corser la difficulté, nous pouvons même choisir les sous-titres en VO, quitte à voir les épisodes plusieurs fois pour tout comprendre.

Elles nous touchent, nous captivent et nous rassemblent

Être fan de séries n'est plus un plaisir honteux: nous sommes nombreux à passer un temps certain à les regarder. Il y a celles que nous visionnons en solitaire, nos petites pépites personnelles. Celles que nous partageons au sein de notre couple ou avec nos enfants et petits-enfants, et qui créent du lien. Celles dont nous discutons entre amis ou collègues, et qui nous donnent l'impression d'appartenir pleinement à une communauté, d'être "dans le coup". Elles nous touchent, nous attirent et nous captivent, pour toutes sortes de raisons. Revue de détail.

Des fictions qui nous font lâcher prise tout simplement

La charge mentale, l'un des maux de notre époque, nous concerne à tous les âges de la vie. Impossible de débrancher ce satané cerveau qui tourne en boucle sur toutes les obligations qui nous incombent. Peu d'occupations réussissent la gageure de nous faire lâcher prise… mais une bonne série, oui! Quand nous retrouvons ces fictions à la grande puissance d'attraction – lorsque la qualité est au rendez-vous –, notre cerveau accepte enfi n de se déconnecter des pensées parasites. "Les séries ont la capacité de nous divertir au sens plein du terme. C'est-à-dire, non seulement de nous distraire et nous amuser, mais également de nous détourner de nos préoccupations. Cet aspect a été particulièrement mis en lumière au moment de la pandémie du Covid et des confinements: elles sont alors devenues un recours que les Français ont utilisé pour se soustraire à leur anxiété", explique Sandra Laugier, philosophe professeure à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Les épisodes durant au maximum une heure – et de plus en plus souvent de 20 à 30 minutes –, ils peuvent facilement s'insérer dans un quotidien laissant peu de temps libre. "On peut les visionner partout et sur tous les supports, y compris dans les transports, sur le téléphone, offrant aux spectateurs des oasis de répit, des bulles à l'abri des sollicitations extérieures. Il faut dire que leurs auteurs savent à merveille maintenir le rythme et la tension de chaque épisode, relancer l'attention, activer les mécanismes de récompense du cerveau", décrit Monika Siejka, enseignante-chercheuse en storytelling à l'université de Versailles Saint- Quentin-en-Yvelines et spécialiste des séries télévisées. Quel plaisir que d'attendre ce rendez-vous fixé avec nous-même pour regarder la suite d'une série!

Découvrir de nouveaux univers

On accuse parfois ces productions d'être l'opium du peuple moderne, ayant pour seule visée celle de nous anesthésier. Voilà un jugement bien hâtif! Car nous y puisons de nombreuses richesses, et en premier lieu l'opportunité d'en apprendre beaucoup sur des milieux qui nous sont totalement étrangers et auxquels nous n'aurions jamais eu accès sans elles. À l'instar des services secrets français dans Le Bureau des légendes (MyCanal), du monde politique dans Baron noir ou La Fièvre (MyCanal), de la période de l'Occupation dans Un village français (TF1+) ou des coulisses d'un hôpital public dans Hippocrate (MyCanal).

"Depuis le milieu des années 1990, le genre évolue vers toujours plus de réalisme, indique Monika Siejka. Leurs auteurs se documentent énormément et s'entourent d'experts. Parfois, ils sont eux-mêmes issus du milieu qu'ils décrivent – c'est le cas de Thomas Lilti, ancien médecin qui a créé et réalisé les trois saisons d'Hippocrate. Ainsi, en regardant ces séries, les téléspectateurs peuvent accéder à une connaissance assez soutenue du vocabulaire médical, du fonctionnement de la police scientifi que ou de la géopolitique, par exemple.

Si beaucoup de séries revêtent une telle dimension éducative, c'est parce qu'elles s'appuient sur des ressorts efficaces. "Le mode d'apprentissage qu'elles véhiculent est plus ludique que formel, plus pratique que théorique, donc très accessible. Il est également répétitif et s'inscrit dans la durée au fil des épisodes et même des saisons, ce qui est un gage de succès pour ancrer les savoirs", remarque Sandra Laugier. Terminer une série en se disant qu'on est plus érudit qu'avant de l'avoir vue procure de la satisfaction et enrichit notre expérience du monde.

Mieux comprendre l’âme humaine

Le temps long de ces fi ctions, comparé à la durée d'un fi lm (moins de deux heures, en général), autorise un vrai raffi nement psychologique, une plongée en profondeur dans les méandres du psychisme des personnages et souvent dans leurs ambivalences. "C'est cela qui passionne les téléspectateurs et permet des processus d'identifi cation. Les doutes, les failles et les côtés sombres des personnages, mais aussi leur énergie, leur courage et leur générosité – car ils sont rarement manichéens– peuvent donner le sentiment de se reconnaître en eux ou l'envie de leur ressembler", analyse Monika Siejka.

En d'autres termes, les séries nous poussent souvent à nous questionner sur nous-même, elles nous renvoient à des aspects de notre propre parcours, à nos liens familiaux, amoureux ou amicaux. Une vraie thérapie cathodique! À cet égard, En thérapie (Arte) laisse entrevoir la possibilité pour chacun de nous de changer, de ne pas rester collé aux étiquettes que la vie nous assigne. "Une épopée telle que Game of Thrones réussit spécialement bien à faire évoluer ses personnages tout au long de ses huit saisons, diffusées de 2011 à 2019. Ainsi, voir Tyrion Lannister se métamorphoser au fil des épisodes, passant du cynisme absolu à l'expression d'un humanisme certain, était très touchant", complète Sandra Laugier. Et qui sait, peut-être aussi un peu inspirant…

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Bousculer nos préjugés et nos tabous

Certaines productions particulièrement marquantes font bouger les lignes de nos préjugés. Dans la mini-série américaine Unbelievable (Netflix), nous découvrons le parcours du combattant que doit affronter une jeune femme ayant décidé de porter plainte pour viol. En regardant La Servante écarlate (Prime), nous sommes confrontés à la fragilité des acquis féministes. Dans La Chronique des Bridgerton (Netflix), située dans l'Angleterre victorienne, la reine et certains nobles sont incarnés par des acteurs noirs: une manière délibérément anachronique et iconoclaste de déjouer les préjugés racistes. Dans It's a Sin (France TV), nous sommes touchés de plein fouet par le destin tragique d'un groupe de jeunes gays dans le Londres des années 1980.

"Ces séries jettent un pavé dans la mare et lèvent le voile sur la condition des minorités ou sur des problématiques que la société se refuse à regarder en face. Elles possèdent une dimension politique et sociétale, contribuant à faire évoluer les représentations, les mentalités, et à mettre à mal les tabous", considère Monika Siejka. Ces sagas-là commencent généralement par nous émouvoir puis, dans un second temps, peuvent nous conduire à réfléchir à notre propre positionnement sur ces sujets sociétaux. "Souvent, elles sont l'occasion de discussions entre les personnes qui les ont regardées. Elles ouvrent un nouvel espace public d'échanges et d'élaboration des opinions", constate Sandra Laugier. Bref, elles peuvent faire de nous des citoyens plus au fait, plus consistants et peutêtre même, plus engagés.

Sagas littéraires, les mêmes ressorts

Sagas littéraires, les mêmes ressorts Certains de nos auteurs français seraient-ils eux aussi gagnés par la passion sérielle? Ainsi, Pierre Lemaitre, après la trilogie Les Enfants du désastre, qui couvrait l'entre-deux-guerres, s'est lancé dans une tétralogie qui explore les Trente Glorieuses. Leïla Slimani, elle, clôturera en janvier 2025 sa trilogie Le Pays des autres par un ultime roman. Les lecteurs semblent apprécier grandement de suivre les personnages sur plusieurs décennies, de patienter parfois plusieurs années d'un tome à l'autre, ce qui accroît le plaisir de les retrouver.

"Ce procédé narratif n'a rien de neuf! On le trouvait déjà chez Émile Zola, avec ses vingt romans contant l'histoire de la famille des Rougon-Macquart. Le fait qu'il revienne en vogue n'est pas très étonnant: si les auteurs veulent continuer à être lus, ils ont tout intérêt à adopter une écriture susceptible de capter l'attention, d'instaurer du manque et de l'attente", estime Monika Siejka.

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Établir un pont vers les ados

Depuis quelques années, les teen dramas (séries mettant en scène des adolescents) remportent un franc succès auprès du jeune public… mais aussi auprès des parents voire des grands-parents! Euphoria (Max), 13 Reasons Why, Sex Education ou Stranger Things (toutes trois sur Netflix) en sont les meilleurs exemples. Pourquoi un tel succès intergénérationnel? Sans doute parce que les thématiques abordées – l'amour, la sexualité et l'amitié, notamment – sont des valeurs qui parlent à tout le monde, au-delà de l'âge. La nostalgie de leur propre adolescence – souvent fantasmée d'ailleurs – explique également l'attrait des adultes pour ces fictions dans lesquelles ils s'offrent un bain de jouvence.

"Les parents y trouvent également des clés pour mieux décrypter le monde de leurs ados qui, bien souvent, – et c'est un passage obligé! – leur échappe", avance Monika Siejka. Alors, à quand des séries mettant en scène des seniors et qui, pourquoi pas, pourraient appâter les jeunes? "D'après ce que j'observe dans les congrès internationaux consacrés au genre, cela pourrait bien être une tendance forte dans un avenir proche", confi e Sandra Laugier. La suite au prochain épisode…


Nos expertes

Sandra Laugier, philosophe, professeure à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteure de Nos vies en séries (éd. Flammarion) et Les Séries, laboratoires d'éveil politique (CNRS Éditions)

Monika Siejka, enseignante-chercheuse en storytelling à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste des séries télévisées.

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